L’offre propose de réaliser une thèse en français sur le thème « Aux origines du populisme. Une enquête de socio-histoire comparative, globale et connectée », sous la direction de Federico Tarragoni (Maître de conférences HDR en sociologie, Co-directeur du Laboratoire du changement social et politique (LCSP), Directeur du Centre de recherches interdisciplinaires sur le politique (CRIPOLIS).
Le contrat s’inscrit dans le cadre d’un partenariat international entre le Laboratoire du changement social et politique (LCSP) et le Centre Walras-Pareto de l’Université de Lausanne-UNIL (réf. A. Chollet). Le contrat doctoral offert est de 42 mois, supérieur d’environ 20% au salaire habituel, et comprend un financement pour la mobilité du doctorant de 2500 euros.
Soumettre une candidature :
karolina.garnczarek@u-paris.fr
Dossier complet
Dans les dix dernières années, le populisme a fait l’objet d’un grand engouement scientifique et éditorial : de nombreux livres ont été publiés, souvent proches de l’essai et du pamphlet, sans toutefois que notre compréhension du phénomène se soit considérablement améliorée.
En science politique, les travaux contemporains tâchent de répondre à deux séries de questions :
1) le populisme est-il dangereux ou bénéfique pour la démocratie ? ;
2) y a-t-il un populisme ou des populismes ?
Ces deux séries de questions sont toutefois formulées de manière totalement déshistoricisée : l’intérêt de la science politique française pour le populisme commence dans les années 1980 avec la montée en puissance des « partis outsiders anti-establishment » (comme le Front national) et se renouvelle à l’aube des années 2000 avec la formidable ascension électorale de ces mêmes partis ou courants politiques, qui parviennent dans certains cas à s’installer durablement au pouvoir (Trump aux États-Unis, Erdogan en Turquie, Duterte aux Philippines, Poutine en Russie, Orban en Hongrie, la vague des « révolutions roses » en Amérique latine, Bolsonaro au Brésil).
L’engouement pour les populistes contemporains a, d’une certaine manière, évacué l’intérêt ancien des sciences sociales pour les manifestations fondatrices du populisme, à partir desquelles de nombreux politistes, sociologues et théoriciens politiques avaient cherché, dans les années 1960, une définition générale du phénomène. Une recherche dans le fichier central des thèses (France) montre que sur les très nombreuses thèses sur le populisme soutenues ou en cours depuis les années 2000 (708), une seulement porte sur l’histoire du phénomène (celle de F. Robinet, comparant les « origines » de l’idéologie populiste en France, Espagne et États-Unis). L’immense majorité d’entre elles porte soit sur l’Amérique latine contemporaine, où le populisme renvoie à une tradition politique consolidée, soit sur l’Europe contemporaine, où il est apparenté à la banalisation de la xénophobie de l’électorat.
Le projet doctoral proposé vise à combler cette lacune, et à remédier à cette déshistoricisation croissante des recherches en science politique sur le populisme. Son propos est d’interroger l’origine du phénomène en interrogeant la construction historique de cette catégorie. Il s’agira donc, tout d’abord, de poser la question « quels populismes analyser et comparer dans le passé ? », pour ensuite construire un protocole d’enquête comparative viable.
Parmi les populismes du passé, dont l’analyse pourrait éclairer, en poussant à une certaine distance critique, ce qu’on appelle « populisme » aujourd’hui, cinq expériences historiques pourraient faire l’objet d’une enquête :
1) le narodnitchestvo russe (1840-80), considéré consensuellement par les historiens comme la matrice historique de l’idéologie populiste ;
2) le People’s Party états-unien et le Social Credit Party of Canada dans l’espace nord-américain, respectivement à la fin du XIXe siècle et dans les années 1930 ;
3) le boulangisme français (1885-1889) ;
4) les régimes nationaux-populaires en Amérique latine (1930-60) ;
5) le maoïsme chinois dans les années 1950, influencé par le narodnitchestvo russe.
Ce ne sont là que quelques-unes des nombreuses expériences historiques qui ont été analysées, depuis les années 1920, avec le qualificatif de « populisme ». Le travail de recherche doctoral pourra se baser in toto sur elles, sur une partie d’entre elles ou en proposer d’autres, sur la base de justifications historiographiques et méthodologiques ad hoc, et ce en dialogue avec les directeurs de thèse pressentis.
Une comparaison internationale, sur une périodisation aussi ample (1830-1960), permettra d’intégrer dans une théorisation sociologique plus générale les apports des recherches historiques sur ces différentes expériences, dont le principal défaut est de rester cantonnées à des aires culturelles singulières. Le défi de ce projet doctoral sera de se baser sur une ample littérature historique pour établir un protocole de comparaison internationale et transnationale, qui permette de comprendre la logique de l’idéologie populiste qui traverse ces différentes expériences.
Le-la doctorant-e sera amené-e à analyser, plus particulièrement, les circulations de répertoires culturels et politiques, de cadres symboliques et pratiques, de textes et supports, entre les différentes expériences populistes qu’il-elle choisira de comparer, avec l’accord des directeurs de thèse pressentis. De telles circulations permettront d’expliquer la genèse, à l’échelle transnationale, de crises populistes comparables, où les groupes sociaux subalternes font valoir des critiques analogues du statu quo politique et émettent des revendications démocratiques similaires. On attend, en ce sens, que le-la doctorant-e apporte une contribution significative à une histoire globale et connectée des populismes (au sens de la global history). En plus de l’étude des circulations de répertoires politiques et militants, le-la doctorant-e s’intéressera tout particulièrement à la manière dont la question démocratique intervient dans les expériences populistes : quelle définition de la démocratie, en place ou à faire, adoptent les acteurs de ces expériences ?
Afin de répondre à cette question, qui pourra élucider sur de nouvelles bases le débat contemporain, il-elle sera amené-e à travailler, avec les méthodes de la socio-histoire et de la sociologie historique, sur les archives de ces expériences. Il s’agira, tout particulièrement, d’analyser de façon comparative la manière dont les acteurs populistes se rapportent à la question de la production et de la consommation, de l’État et des administrations territoriales, des pratiques culturelles et éducatives, de la science et de la technique, et des minorités raciales et/ou issues de l’immigration. Ces nombreuses pratiques, dont la thèse devra constituer et éplucher les archives, seront interrogées ensuite de façon sociologique afin d’esquisser un idéal-type de la « démocratie » (ou de la république) rêvée et imaginée par les populistes.
Un tel cahier de charges suppose, afin que la thèse soit faisable dans les 42 mois du CDI, une certaine organisation : dès la sélection du-de la doctorant-e, la question des cas retenus pour la comparaison socio-historique sera déterminante ; on prêtera une attention particulière aux justifications méthodologiques que le-la doctorant-e apportera à la sélection des cas significatifs pour l’établissement d’un tel idéal-type de la « démocratie populiste ». La première année de thèse sera consacrée à l’analyse critique de la littérature historiographique pertinente pour les cas choisis, ainsi que des sources secondaires. La participation au séminaire de recherche sur les populismes animé par A. Chollet à l’Université de Lausanne (UNIL, Suisse), dans le cadre du secondement lié au CDI, s’avérera déterminante dans cette phase de construction d’une recherche internationale (par son comparatisme), interdisciplinaire (entre la sociologie, l’histoire et la théorie politique) et intersectorielle (influence du populisme dans le champ intellectuel, du travail, de la politique, des pratiques culturelles et interethniques, etc.). La deuxième année de thèse sera consacrée à la préparation et à la réalisation de l’enquête socio-historique. Les 18 derniers mois seront consacrés à la rédaction de la thèse, avec un nouveau séjour de recherche de 6 mois à l’UNIL.
La thèse sera rédigée en français, mais la-le doctorant-e sera amené-e à communiquer et produire régulièrement en anglais, notamment via son intégration progressive dans le réseau des populism studies auquel appartiennent ses encadrants. Ce réseau structure une communauté de chercheur-e-s mondialement reconnu-e-s dans les études sur le populisme, appartenant à de nombreuses Universités internationales : Oxford University (Y. Sintomer), University of Bath (A. Mondon), University of Essex (J. Glynos), Aristotle University of Thessaloniki (Y. Stavrakakis), Université Saint-Louis – Bruxelles (M. Deleixhe), ULB – Bruxelles (J-Y. Pranchère), University of York – Toronto (M. Breaugh), Columbia University (C. Vergara), Universidad de Buenos Aires – CONICET (G. A. Carlés).