François Debras publie sa thèse de doctorat en sciences politiques et sociales aux Editions Peter Lang sous l’intitulé « Le chant des sirènes : quand l’extrême droite parle de démocratie ».
Lien vers la fiche de présentation de l’ouvrage et commande en ligne :
https://www.peterlang.com/document/1301853
Résumé :
Les partis politiques d’extrême droite se présentent comme les promoteurs et les défenseurs de la démocratie. La mobilisation du terme « démocratie » serait liée à une stratégie de « dédiabolisation ». Cet ouvrage se demande si le terme « démocratie » assure une fonction purement symbolique ou si d’autres significations peuvent en être dégagées. Il interroge comment et pourquoi les partis d’extrême droite mobilisent le terme dans leurs discours. Les discours du Rassemblement National (RN), du Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ) et de l’Alternative für Deutschland (AfD) sont étudiés en trois étapes : analyse lexicométrique, analyse sémantique et rhétorique et analyse socio-idéologique afin de présenter les stratégies discursives et les idéologies « cachées » derrière les mots.
Commentaire de François Provenzano (Professeur à l’ULiège)
Le livre de François Debras n’est pas une énième dénonciation classique des dangers de l’extrême-droite. La qualité critique de sa démarche tient à quelque chose de plus subtil et de plus fécond, qui consiste à cultiver un inconfort : comment peut-on encore qualifier d’anti-démocratiques des partis qui ne cessent de se revendiquer de la démocratie ? C’est à partir de cet inconfort que le livre déploie une enquête fouillée sur un important corpus de discours, pour tenter d’en identifier les rouages rhétoriques. Ici encore, l’originalité de la démarche consiste à dépasser le simple constat d’une « dédiabolisation » : cette lecture trop monolithique est minutieusement mise à l’épreuve de terrains concrets, dont les déterminations historiques, institutionnelles et discursives permettent de compliquer la simple position normative sur les rapports entre démocratie et extrême-droite, pour éclairer la variété des stratégies discursives centrées autour de cette notion et les luttes sémantiques dont elle fait l’objet.
Par exemple, le livre éclaire très bien le continuum qui, en discours, associe une conception dite « procédurale » de la démocratie et une conception qui convoque des représentations et des valeurs plus diffuses : les discours naviguent fréquemment de l’un à l’autre de ces pôles, et l’intérêt d’une approche rhétorique est moins de faire le tri entre les différents usages, que de montrer leur intrication permanente et les ambiguïtés qu’elle permet d’entretenir sur la lisibilité même des propositions et du positionnement politiques de ces partis.
On appréciera ainsi la manière dont un travail de science politique s’approprie des modes de problématisation et des outils terminologiques et analytiques de l’analyse du discours : la contribution de François Debras tient aussi à ce dialogue fructueux qu’il établit entre des traditions disciplinaires qui peinent souvent à s’articuler ; même au sein des analystes du discours, il n’est pas fréquent d’intégrer aussi finement les apports des traditions anglo-saxonnes, et le livre offre à ce titre une synthèse et un modèle utiles à toute recherche future sur l’analyse du discours politique.
En altérant les frontières disciplinaires établies entre science politique et analyse du discours, le livre pose également la question du sens à donner à la fonction de « politisation » d’un terme comme démocratie. Il invite en effet à considérer que, bien qu’il relève assurément du lexique politique, le terme produit parfois, en discours, la dépolitisation de certains positionnements ou enjeux de société.
Ce n’est pas le moindre des mérites de cet ouvrage que de démontrer que les discours ne sont pas que le véhicule transparent d’un programme idéologique qui les précède, mais qu’ils possèdent une épaisseur spécifique, dont les effets de brouillage méritent toute la finesse d’analyse qui distingue le travail de François Debras.
Commentaire de Nicolas Baygert (Chargé de cours à l’IHECS, Maître de conférences à l’ULB, Enseignant à Sciences Po Paris) :
Dans cette recherche en tout point stimulante, plutôt que d’envisager l’extrême droite comme « antithèse de la démocratie », François Debras choisit de renverser la table et de s’intéresser à la façon dont les formations d’extrême droite conçoivent la démocratie en leur sein.
Au même titre que certains définissent le populisme comme une « idéologie fine », la démocratie revêtira ainsi diverses formes idéologiquement chargées, se présentant avant tout comme une notion particulièrement malléable et réinterprétable à dessein. Il ne s’agit donc pas tant, aux yeux du chercheur, de défendre, voire de sauver la démocratie du danger de l’extrême droite que de concevoir à quelles fins axiologiques et stratégiques ce vocable est, en permanence, mobilisé.
Le lecteur sera tout particulièrement intéressé par l’analyse inédite de la Freiheitliche Partei Österreichs et de l’Alternative für Deutschland, deux partis à l’histoire encore largement méconnue, contrairement au RN (ex-FN) mieux documenté. On soulignera donc l’apport indiscutable de François Debras à la recherche scientifique francophone en ce qui concerne la compréhension de l’implantation de ces deux mouvements dans l’imaginaire politique autrichien et allemand.