1. Saisir le populisme de gauche dans le temps et dans l’espace
Les conséquences politiques de la Grande Récession ont été nombreuses en Europe du Sud, où les systèmes partisans se sont trouvés bousculés par l’arrivée de nouveaux acteurs et mouvements. Parmi ceux-ci, la montée en puissance d’un populisme de gauche a été remarquable à bien des égards, tant par sa nouveauté – le phénomène, bien connu dans les Amériques, était en effet relativement neuf en Europe – que par la rapidité et la force avec lesquelles il a bouleversé les alignements partisans qui prévalaient avant la crise de 2008 (Martin, 2018). Remarquable, cette « vague » populiste de gauche l’était aussi par le lien étroit et explicite que certains de ses disciples entretenaient avec une tradition théorique particulière, l’école d’Essex, impulsée par Ernesto Laclau et Chantal Mouffe, qui analyse la formation des identités collectives dans une perspective post-marxiste (Chazel, 2021).
Le populisme de gauche, ainsi que le corpus théorique sur lequel il s’appuie, ont fait l’objet de nombreuses critiques. Certaines, provenant d’auteurs libéraux (Urbinati, 2013) et de certaines sensibilités de la gauche – marxiste et libertaire, principalement (Butler, Laclau et Zizek, 2000 ; Kouvelakis, 2019) –, questionnent la validité des fondements mêmes de ce courant politique. D’autres tentent, en acceptant les prémisses du cadre théorique laclauien, de porter un regard critique sur certaines de ses apories et/ou sur les limites des projets politiques qui s’en réclament (Stavrakakis, 2014 ; Borriello et Jäger, 2020 ; Glynos et Mondon, 2016). Quelle que soit leur pertinence, le geste critique dont ces lectures procèdent est indispensable à l’heure où le cycle électoral ouvert par la Grande Récession de 2008 semble se refermer, invitant à soumettre les partis-mouvements populistes de gauche à un inventaire critique et provisoire….